lundi 21 mai 2012

Racontons l’histoire de la pomme de terre (suite)

Une heure de classe avec les petits

 

Racontons l’histoire de la pomme de terre 

(suite)

5- Les jardiniers - comme des médecins - cherchent à guérir la pomme de terre malade.

Pour guérir cette maladie, il fallait chercher d'où elle venait. Mais tous les médecins appelés en consultation n'étaient pas d'accord : les uns disaient : "Cette pauvre plante souffre de n'être plus dans son pays d'origine. Elle devient anémique". Ils ajoutaient qu'elle avait dû prendre froid à la suite d'un brouillard très épais qui avait envahi les champs et elle en aurait attrapé la "grippe noire". Pour un peu, ils auraient conseillé de la faire changer d'air. En tout cas, ils recommandaient de changer les plants, d'en faire venir de plus robustes. Mais ceux-ci , l'année suivante, tombèrent malades à leur tour. C'était à désespérer ! D'autres médecins avaient dit : "C'est un champignon qui mange le tubercule et il faut détruire le champignon". D'autres affirmaient que des insectes ailés attaquaient la verdure des feuilles, ce qui asphyxiait la plante. Ils prétendaient que ces insectes jaunes, à points noirs, étaient nés d'une larve, elle-même venue d'un œuf. Sans doute, ces derniers médecins avaient-ils raison, car le doryphore, qui menace de nos jours les récoltes, est aussi un insecte.
Sur les remèdes à appliquer, les avis différaient aussi : ceux des jardiniers qui pensaient que la pomme de terre avaient la grippe voulaient que l'on se procurât de jeunes plants sains.Un droguiste - qui sans doute voulait vendre des drogues, - voulait lui donner des fortifiants : de bons engrais ! Ceux qui accusaient l'insecte ailé d'être le coupable conseillaient de détruire les larves et en attendant leur disparition, il suffisait d'arracher minutieusement les tiges et les feuilles sans déterrer le tubercule. Celui-ci continuerait à grossir dans la terre et serait sauvé. Des femmes, à qui on donnait quinze sous par jour, se livrèrent donc au travail d'arrachage.

6- La pomme de terre, guérie une première fois, devient une nourriture indispensable à l'homme qui doit toujours la surveiller de près.

Tant d'efforts ne furent pas perdus. La pomme de terre guérit. La leçon avait servi : on en prit plus de soin, on chercha les espèces qui convenaient le mieux au terrain.
Les paysans de jadis qui n'en voulaient pas manger seraient bien surpris de la voir, en toutes saisons, sous toutes sortes d'aspects, apparaître sur la table des riches et des pauvres, traverser les mers pour arriver, à la fin de l'hiver, des pays chauds dans les pays froids, comme "pomme de terre nouvelle". Dans certains pays, - en Allemagne, par exemple, - elle remplace presque le pain. On en tire de la fécule, de l'alcool. Et on se demande comment les hommes ont pu s'en passer si longtemps !
Cela ne veut pas dire que la pomme de terre ne court plus de danger. De nos jours, un insecte, le doryphore, cause de grands ravages, lorsque le paysan est négligent. Mais on peut se procurer des appareils et des produits qui permettent de sauver la récolte.

Madeleine Schnerb


p 235-237, In L’information historique, n°5 juin-juillet 1939.

vendredi 18 mai 2012

Racontons l’histoire de la pomme de terre


Une heure de classe avec les petits

 

Racontons l’histoire de la pomme de terre

C'est une bonne vieille amie que la pomme de terre. il est peu de jours où nous ne la voyons pas sur notre table. Nous la comptons parmi les "légumes" indispensables. Ce n'est d'ailleurs pas un légume, au sens propre du mot, mais un tubercule. C'est peut-être pour cela que les hommes n'en ont pas voulu jadis.

1- La pomme de terre est venue d'Amérique.

L’Amérique, ce grand contient où des paquebots énormes comme Normandie transportent des voyageurs en moins de quatre jours, était inconnue des hommes de nos pays, il y a cinq cents ans. Alors vivaient en Amérique des Indiens qui chassaient, pêchaient et faisaient quelques cultures  : parmi celles-ci, il y avait la pomme de terre qui ressemblait un peu à la patate douce que cultivaient les Romains. Les Indiens récoltaient le tubercule, le faisaient cuire, le pelaient, l'exposaient tour à tour au soleil et à la gelée pour le faire dessécher. C'était le hachaca. (Les habitants du Pérou agissent encore ainsi.) Cette plante vécut d’abord en Amérique du Sud, puis se déplaça peu à peu vers le Nord.
Les Européens vinrent en Amérique. Ils ne se préoccupaient pas du tout de la pomme de terre ; ils cherchaient là-bas de l'or et de l'argent... Cependant, des botanistes, savants qui aiment étudier les plantes, rapportèrent en Angleterre des plants de pomme de terre pour les regarder pousser. Les unes avaient des fleurs rouges pâles, d'autres bleu très pâle et les tubercules étaient ou rouges ou jaunes.

2- La pomme de terre fut bien cultivée en Europe, mais les gens de France n'en voulaient pas manger.

Il y a deux cents ans, on cultivait des pommes de terre en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Hollande, pays voisins du nôtre.
En France, on l'appelait "patate" ou truffe sèche" ou "cartoufle" (les Allemands, Kartoffel). Pendant une guerre, les soldats français, n'ayant pas reçu leurs vivres, avaient dû s'en contenter pendant dix jours.
Mais on n'avait pas confiance... On disait que cette nourriture provoquait des fluxions de poitrine, des pleurésies, des fièvres. On pensait qu'il ne fallait en donner qu'aux animaux.
Des hommes sages savaient cependant qu'elle rendrait beaucoup de services, car, en ces temps-là, quand la récolte de blé était mauvaise, les gens mouraient de faim, n'ayant rien d'autre à manger. Aussi, un savant, Parmentier, avait-il présenté la pomme de terre à d'autres savants et il s'efforçait de la faire apprécier. Le Roi Louis XVI mit des fleurs de "parmentière" (pommes de terre) à sa boutonnière.
Turgot, un homme qui devint ministre plus tard, alla dans le Limousin, une région montagneuse assez pauvre, et essaya de faire comprendre aux gens des campagnes que la pomme de terre est bonne à manger. Il s'en faisait servir à sa table tous les jours, en distribuait à ses amis, aux curés de toutes les paroisses, invitaient les paysans à en goûter.
Un grand écrivain, Voltaire, fit fabriquer du pain avec du seigle, du froment mélangés à de la pomme de terre. On se mit à donner des recettes : couper le tubercule en rondelles et le faire frire, ajouter du vinaigre. On donner aussi des exemples de guérisons miraculeuses ; une dame de trente-trois ans avait une maladie d'estomac, elle en fut guérie après avoir mangé des pommes de terre qui lui rendirent tout bonnement l'appétit.

3- La pomme de terre fait la conquête des champs d'Europe.

Il y a un peu plus de cent ans, on cultivait des pommes de terre partout, aussi bien dans les terrains secs que dans les terrains humides. On disait qu'on n'avait plus à craindre de famines. On affirmait que cette plante avait toutes sortes d'avantages : elle n'était pas sujette aux maladies, la récolte en était certaine, elle était facile à préparer. On disait aussi, il est vrai qu’elle ne nourrissait pas beaucoup.
Certains pays, autrefois très misérables, vivaient mieux depuis qu'ils avaient fait sa connaissance ; la population devenait plus nombreuse, en Irlande (une île très humide), en Allemagne (dans les régions marécageuses) et dans des régions montagneuse. Cependant, la culture n'était pas encore satisfaisante partout : en Irlande, par exemple, on arrachait  le tubercule au fur et à mesure des besoins, quitte à le laisser geler dans la terre en hiver. Pour faire des économies, on ne plantait que le germe et le reste servait  à la nourriture des animaux. Peu importait, disait-on : c'était une plante robuste, qui ne craignait rien et s'accommodait de toutes les intempéries !

4- Un grand malheur survient : la pomme de terre tombe malade.

 D'autres années passèrent. On apprit à cultiver de mieux en mieux la pomme de terre, on sut la conserver l'hiver, on en eut de toutes les espèces. Elle était devenue l'amie inséparable de l'homme et on crut qu'il n'y aurait plus jamais de famine. Et voilà qu'un jour, il y a à peu près cent ans seulement, les tubercules récoltées sont tachés, desséchés, puis durcis. Simple alerte : le mal disparaît vite...
Mais, un beau matin de l'été 1845, les cultivateurs de Belgique, de Hollande, de France s'aperçoivent que les feuilles et les tiges de leurs plants sont à nouveau tachées et cessent de grandir. Ils arrachent des pieds et voient qu’une sorte de poison pénètre dans al sève, noircit le tubercule qui se déchire. Cette désagréable surprise a lieu pour beaucoup de cultivateurs français le 25 juillet 1845 ! Les paysans, qui vivaient à ce moment, s'en souvinrent longtemps ! Les deux tiers de la récolte sont perdus et le reste ne se garde pas. Dans les pays comme l'Irlande, où les paysans comptent sur la pomme de terre pour vivre, c'est de nouveau la misère, la famine,. Des milliers de gens meurent. D'autres quittent leur pays pour aller en Amérique. Cette maladie donne du souci aux ministres de beaucoup de pays (surtout en Angleterre). Partout on recherche des remèdes.


(à suivre)

Madeleine Schnerb


p 235-237, In L’information historique, n°5 juin-juillet 1939.

mardi 15 mai 2012

le 12 février 1934

Quelques jours après le 6 février 1934

« Dès 1934, d'accord avec une collègue contestataire, Madame Rossat-Mignod, je manifestai à ma manière.
Le 12 février un bon nombre d'élèves - filles d'instituteurs pour la plupart - étant absente je pris ce prétexte pour ne pas faire un cours habituel : je consacrai mes heures de classe à parler des crises traversées par la IIIe République : l'Affaire Boulanger et l'Affaire Dreyfus... Je sus qu'il y eut des remous chez la Directrice... »

Madeleine Schnerb, Mémoires pour deux, 1973., p.42

Place de la Nation, le 12 février 1934


On comprend que Madeleine ait manifesté "à sa manière", les femmes n'ayant visiblement pas leur place dans la rue !

samedi 12 mai 2012

L'histoire par l'image : la place de la Concorde - 1939

DOCUMENTATION PÉDAGOGIQUE


L' histoire par l’image

Avec les petits

LA PLACE DE LA CONCORDE

Les images qui suivent représentent un lieu connu de Paris à différentes époques.
Il importerait : 1° d'établir une échelle des dates (1763, 1830, 1900, 1920 et 1939) de manière à faire saisir à l’enfant le rythme des transformations ; 2° d'attirer son attention sur les deux genres de transformation les plus apparents : d'une part la physionomie de la place et de l'autre l'aspect de la circulation et le costume.

*
L'estampe ci-dessous est de 1763. Il s'agit alors de la place Louis XV : on vient d'ériger la statue équestre en bronze de ce roi (des curieux la montrent du doigt). Les deux bâtiments symétriques ont été construits peu d'années auparavant sur les plans de l'architecte Gabriel : ils sont surmontés de trophées. Des fossés entourent encore la place : ils sont flanqués de huit pavillons de pierre, dus également à Gabriel et dont les trophées surmontent encore le faîte (ces pavillons servaient de guérites : remarquer les sentinelles). Le sol est de terre battue (on est presque hors ville) et des charrettes circulent aussi bien que des carrosses. Un pont tournant met la place en communication avec l'allée des Champs-Élysées. A droite, on aperçoit les premiers arbres du jardin des Tuileries. Il n'y a pas d'éclairage.




Soixante-six ans ont passé. Nous sommes en 1839, sous Louis-Philippe. La place Louis XV est devenue "place de la Révolution", puis par décisions de la Convention dans sa dernière séance, "place de la Concorde". Entre les deux bâtiments de Gabriel, on aperçoit la Madeleine, au bout de la rue Royale; cet édifice va être ouvert au culte en 1842. Au milieu de la place se dresse à présent l'obélisque de Louqsor, ramené d’Égypte, en 1836. Deux belles fontaines l'encadrent. Les fossés ont été comblés et un pavage a été posé. Un mur limite le jardin des Tuileries. Il y a des réverbères. Si les carrosses ont disparu, la circulation reste peu animée : les piétons dominent ; certaines personnes vont à cheval, d'autres en voiture (cabriolets et fiacres). 
Aux approches du XXe siècle, soixante ans plus tard : très peu de changements. Des statues de villes (Strasbourg, Lille, etc.) ont remplacé les trophées sur les pavillons de Gabriel. L'éclairage est représenté par les becs de gaz et les réverbères. Les cavaliers ont disparu, mais les voitures à chevaux ne sont guère plus nombreuses.


Moins de quinze ans après (veille de la guerre de 1914), les voitures automobiles particulières et les autobus ont fait leur apparition. Cependant les voitures à chevaux sont toujours les plus nombreuses.


 La guerre  de 1914-1918 a passé. Des canons pris aux Allemands ornent les terre-pleins. Les voitures automobiles ont chassé les voitures à chevaux. Il n'existe ni service d'ordre, ni passages cloutés, mais il y a déjà un sens obligatoire.

 
Et nous arrivons en 1939. L'animation est énorme. Les voitures, camions et autobus passent rapidement. Un agent règle la circulation à l’entrée du pont de la Concorde dont la largeur a été doublée. On ne voit plus de voitures hippomobiles. Les lampes électriques ont remplacé les becs de gaz.

Madeleine Schnerb, L’histoire par l’image, avec les petits, La place de la Concorde p 42-43, In L’information historique, n°2 décembre 1939-janvier 1940


Cet article est paru à la fin de l'année 1939, alors qu'une deuxième guerre vient de commencer et que Madeleine n'est plus dans la région parisienne. Évidemment écrit plus tôt dans l'année, ce texte montre aux enfants combien Paris est moderne en 1939, comme si l'on avait définitivement tourné le dos aux temps obscurs ...
On ne peut pas ne pas poursuivre dans sa tête, l'histoire de la place : 1940 ... 1944, et tout le long de la deuxième partie du XXe siècle jusqu'aujourd'hui, en mai 2012...



dimanche 6 mai 2012

Le droit de vote des femmes



Qu'est-ce que Madeleine Schnerb pouvait penser, dans les années trente, du droit de vote des femmes?
Faisait-elle partie de celles qui combattaient pour ce droit ?
Pensait-elle comme beaucoup de personnes, à gauche, que le risque est grand d'attribuer le vote aux femmes qui, naturellement, seraient plus conservatrices ? Partageait-elle cette défiance à leur endroit ?
A t-elle regretté de ne pas pouvoir mettre un bulletin de vote dans l'urne en avril 1936 ?

Aurait-elle pu se trouver avec Louise Weiss qui, alors que Léon Blum gouverne la France, réclame le droit de vote pour les femmes ?
 
 
Reportage radiodiffusé le 29 juin 1936 depuis l'hippodrome de Longchamps. Le speaker de la radio interview Madame Louise Weiss qui vient d'interrompre la course. 

 Louise Weiss défend aussi les enfants qui souffre de surmenage intellectuel du fait du trop grand nombre d'heures de travail en classe qui s’ajoute aux devoirs à faire à la maison; elle réclame donc pour eux  la semaine de 40 heures ! Cette cause, je sais que Madeleine la partageait. 
Louise Weiss conclut, avec ironie, qu'elle ne réclame pas les 40 heures pour les femmes car le ménage de la France ne serait pas fait !...

Et Madeleine, qu'a-t-elle ressenti en avril 1945 en votant pour la première fois ? Face aux grandes difficultés du moment, n'a t-elle pas pensé, que c'était un acquis bien dérisoire ?

Malheureusement je n'ai aucune réponse à ces interrogations, voter était devenu une chose si naturelle, à l'époque où j'aurais pu lui poser la question, qu'il ne m'est jamais venu à l'idée de la lui soumettre !



Les femmes ont acquis le droit de vote le 21 avril 1944 - Journal de l'A2 20H - 21/04/1994




samedi 5 mai 2012

Et les élèves à l'époque de la loi Guizot..

Avant la loi Guizot

« […] Par rapport à la population totale le nombre des enfants fréquentant les écoles reste dérisoire : 918 à Clermont sur 30 000 habitants ce qui fait à peine 1/32e de la population de la ville; dans les communes rurales du canton 320 élèves pour 25 000 habitants, c'est-à-dire 1/78e de la population. […]
La grande plaie des écoles primaires c'est toujours le manque de régularité des élèves à cause des travaux des champs ou de la garde des bestiaux.[…]; la difficulté de circuler en hiver dans un pays rude n'arrive pas à compenser l'évasion vers les pacages au moment de la belle saison.[…]»

Écoles illégales

« […] la population préférait souvent ces écoles à bon marché où les maîtres étaient peu exigeants sous le rapport de l'assiduité. […]»

Au temps de la loi Guizot, l’assiduité n'est pas encore la règle!

« Quelles sont les raisons qui empêchent les élèves d'accourir?
1° la misère qui oblige les enfants à travailler jeunes ou à émigrer ; ces élèves indigents ne donneraient d'ailleurs aucune ressource au maître: 2° la dispersion des hameaux.[…] 3° les parents cherchent le bon marché : aussi envoient-ils leurs enfants dans les écoles clandestines.[…]
Pour n'avoir pas voulu créer l'école gratuite pour tous, le gouvernement, malgré son optimisme, se trouvait en face de ce dilemme : l'école chère, pas d'élèves et par conséquent pas de bons maîtres ; ou l'école bon marché, beaucoup d'élèves mais des maîtres sans ressources et qui se dérobaient.[…] »


Voici un de ces enfants qui n'a pas fréquenté l'école quelle qu'elle soit d'ailleurs...

  • « J'allais avoir sept ans, on me confia la garde du troupeau.
    Avant cinq heures, maman me tirait du lit et je partais, les yeux gros de sommeil. Un petit chemin tortueux et encaissé conduisait à la pâture. Il y avait de chaque côté des bouchures énormes sur de hautes levées, avec une ligne de chênes têtards et d'ormeaux aux racines noires débordantes, à la ramure très feuillue. Cela faisait cette "rue creuse" toujours assombrie et un peu mystérieuse - si bien qu'une crainte mal définie m'étreignait en la parcourant. Il m'arrivait d'appeler Médor, qui jappait en conscience derrière les brebis fraîchement tondues, pour l'obliger à marcher tout près de moi ; et je mettais ma main sur son dos pour lui demander protection
    […] »
Émile Guillaumin La vie d'un simple

mercredi 2 mai 2012

Visites aux abbayes cisterciennes de France (suite)

Visites aux abbayes cisterciennes de France (suite)


IV. - Les caractères de l'art cistercien à travers les principaux édifices

a. L'église. Pour nous, le style ogival est lié à la vision des hautes nefs. Or la voûte gothique a été mise en honneur par l'ordre de Cîteaux (à Noirlac, puis à Pontigny) pour réagir contre l'orgueil des églises clunisiennes, voûtées au berceau. L'art roman cherchait toujours à s'élever de plus en plus haut, grâce à la hardiesse de ses tours et à la solidité de ses arcs-doubleaux. L'église cistercienne, très longue, rampe dans la vallée avec laquelle elle tend à se confondre. Saint Bernard interdit les tours de pierre et aucune tour de bois ne subsiste, si bien que l'église se fait encore plus modeste qu'elle n'était au XIIe siècle. Elle ne se laisse pas apercevoir de loin comme la Chaise-Dieu ou La Charité !  Rien de dominateur; rien de chatoyant non plus : ni vitraux de couleurs, ni chapiteaux historiés, ni culs-de-lampe ouvragés. Maintenant que les vitraux blancs et que les ornements du culte ont presque partout disparu, l'impression de pureté donnerait presque le frisson.
Le chevet carré (les chevets arrondis sont postérieurs à la grande époque cistercienne) exclut les chapelles rayonnantes : l'officiant doit regarder vers Jérusalem, et jamais le culte de se sacrifie à l'art ; s'il y a cependant des chapelles, la fenêtre est percée à l'est, sans souci de symétrie ou d'harmonie. le chœur s'agrandit pour abriter parfois jusqu'à trois cents moines.
Le mur que les grands architectes de Reims ou d'Amiens se sont comme appliqués à faire oublier, le mur s'impose aux yeux : jamais le constructeur (souvent l'abbé lui-même) n'a cherché à le dissimuler. Point de triforium; les oculi donnent un éclairage assez direct qui s'accorde avec la sincérité cistercienne. La voûte retombe non sur de sveltes colonnettes, mais sur de gros piliers, comme si l'architecte avait craint d'aller jusqu'au bout du système ogival. D'ailleurs, nulle coquetterie pour cacher la coupure brutale entre la partie supérieure et la partie inférieure du mur.


Cependant, cette sévérité même ne manque pas de grâce : la sobriété voulue des chapiteaux et des culots oblige à un dessin ferme, capable de plaire à qui aime les formules classiques ; la rose, suprême élégance de cet art austère, y introduit un charme discret avant de s'épanouir sur les façades de nos grandes cathédrales.
Le visiteur errant dans cet nef basse, froide, blanche, rencontre un escalier qui réunit le dortoir des pères à l'église. Aucun détail ne nous dit mieux le rôle essentiel joué par les offices dans la vie du moine : la nuit, en plein sommeil des hommes et des choses, il entend la clochette agitée par des pères qui encore à demi endormi sur sa paillasse, appelle ses frères à la prière commune. Alors commence, pour les habitants du couvent, une journée de dix-sept heures.

b. Le cloître n'est pas toujours contemporain de l'église, preuve que l'abbaye ne s'est faite que lentement, en rapport avec sa prospérité. Il en est de même de la salle capitulaire (ce sera une occasion précieuse que de faire saisir sur le vif aux jeunes visiteurs l'évolution d'un style). A mesure que la règle monacale se fait moins rigide, les enseignements du fondateur s’oublient, l'architecte se laisse aller à la recherche du beau pour le beau (regarder différents chapiteaux, comparer l'église au cloître, comme à Noirlac).

c. Dans les autres partie du couvent. Au réfectoire, souvent vide maintenant, on montrera la chaire du lecteur qui, même à l'heure des repas, s'appliquait à rendre Dieu présent. Une visite à la chaufferie (près de la bibliothèque), la seule pièce chauffée, donne une preuve nouvelle de la sévérité de la règle. Le lavabo, face à l'ouverture du réfectoire, évoque les ablutions liturgiques.
La distance entre les deux dortoirs souligne la différence entre pères et frères convers : les premiers se voulaient au service de Dieu et, sans mépriser le travail manuel, se consacraient surtout aux prières ; les frères convers ou frères barbus, ignorants pour la plupart, dispensés d'une partie des obligations spirituelles, soumis à une règle plus souple, devaient pourvoir au gros du travail, dans les champs et les ateliers. Serfs des pères, ils ne cohabitaient pas avec eux.


 Près du dortoir des frères se trouve souvent le cellier, témoignage architectural de la richesse des abbayes qu'ils convient de signaler à cet endroit : on sait que l'abbé de Pontigny disposa à la fin du moyen âge de soixante arpents de prés, de nombreux domaines et métairies, des dîmes sur les vins et les grains de huit villages, des droits seigneuriaux dans six villages. Aux Vaux-de-Cernay, sont conservées le pierres tombales des abbés qui avaient la dignité d'évêque : la crosse tournée vers l'intérieur rappelle que le droit de justice de ces seigneurs ecclésiastiques s’exerçait seulement dans les domaines abbatiaux. Dans certains monastères (à Royaumont), on montre la salle où se rendaient haute et basse justices.
L'infirmerie, un peu en dehors de cet ensemble, abritait les malades et les vieillards pour qui la règle s'adoucissait un peu ; ils y attendaient la mort, couchés sur la cendre.
L'hostellerie, où l'abbé recevait les visiteurs de marque et qui est devenue souvent une résidence pour les propriétaires actuels, ne peut présenter un caractère original ; du moins a-t-elle abrité d'illustres personnages : ainsi Pontigny vit Thomas Becket, Louis VII, Philippe Auguste, Blanche de Castille, saint Louis, et celui-ci vint souvent à Royaumont et aux Vaux-de-Cernay, parmi les moines qu'il comblait de ses bienfaits.

Conclusion

La visite des abbayes cisterciennes ne prend un véritable intérêt que si l'on souligne le lien qui les unit : chacune d'elle n'est qu'un maillon d'une chaîne presque ininterrompue qui va de la Bourgogne à l'Île-de-France et à la Provence. Faire des rapprochements pour souligner l'unité de l'art cistercien, - sans méconnaître les nuances régionales*, - c'est prendre une vue concrète de l'universalité chrétienne du moyen âge.

* Dans le midi, par exemple, persistance de l'art roman dans le cloître.

Madeleine et Robert Schnerb, in L’information historique, n°4 avril-mai 1939, p 169-177

mardi 1 mai 2012

Fourmies, le premier mai et Madeleine Rebérioux


Célébrons à notre façon le 1er mai 2012





Fourmies et les Premier Mai, sous la direction de Madeleine Rebérioux (Edition De l' Atelier 1994)

Quatrième de couverture

« Ceux de Fourmies en font à l'évidence partie. Cent ans plus tard, les organisateurs de ce colloque ont voulu revisiter les faits, en relire les usages, pour mieux situer Fourmies dans l'histoire du mouvement ouvrier et des premier mai, mais aussi de la République. Ce livre nous entraîne d'abord sur la place de la mairie de cette cité lainière, puis il explore le contexte, il présente les débats qui suivirent la fusillade. Mais il emmène aussi le lecteur au chevet des luttes ouvrières de la Belgique toute proche et du Pas-de-Calais. Puis sur les lieux d'autres tragédies du premier mai : à Haymarket bien sûr, mais aussi à Varsovie (1905) et Paris (1919). Il montre ensuite la diversité des pratiques du premier mai au travers d'exemples allemands, suisses, italiens et brésiliens pour revenir enfin en France, s'interroger sur la dimension politique des premier mai et analyser les premier mai cédétistes. Nous voici donc, pour finir, aujourd'hui.»