mercredi 13 juin 2012

C'est l'été...

La dernière chronique faite pour l'Information Historique date de février-mars 1940.
Il faut attendre janvier-février1946 pour lire la suivante dont il ne m'étonnerait pas qu’elle ait été écrite en 1939 ou 1940 puisqu'après les horloges, elle traite des nombres et de la façon de "compter à la manière de l’ancien temps".

Le mois de juin fait penser au baccalauréat, mais il annonce aussi les vacances...
Il fait surtout penser à la campagne de France (mai-juin 1940), au désastreux armistice du 22 juin et aux mesures de Vichy.
Pour Madeleine et les siens, les vacances 1939 correspondent, du fait de l'entrée en guerre, à un retour en Auvergne, Madeleine occupe un poste au Lycée Blaise-Pascal avant de revenir au lycée Jeanne-d'Arc pour la rentrée 1940.

Avant d'évoquer les "longues vacances" auvergnates qui vont prendre un caractère définitif après la défaite, notamment à la fin de l'année 1940, quelques images estivales d'avant-guerre...

Murols - été 1936

Saint-Nectaire - été 1938

été 1939

vendredi 1 juin 2012

Racontons l’histoire de l’heure et des horloges


Une heure de classe avec les petits

 

Racontons l’histoire de l’heure et des horloges


 "Au quatrième top, il sera exactement 8 heures, 31 minutes..." Qui d'entre nous n'a entendu le speaker nous annoncer qu'il allait donner" l’heure exacte, transmise de l'Observatoire de Paris" ?... Et sans cesse vous entendez dire : "Nous sommes à l'heure"... ou "le train a 15 minutes de retard". Quand on vit en 1940, on a vraiment un gros effort d'imagination à faire pour comprendre qu'il fut un temps où l'on se réveillait quand on en avait assez de dormir, où l'on mangerait quand on avait faim. Il y a d'ailleurs encore des pays où les hommes ne s'occupent pas de l'heure : chez les Esquimaux, près du pôle, chez certains nègres d'Afrique, chez certains habitants de petites îles de l'Océan Pacifique.

I- Les premiers cadrans solaires.

Sans doute les hommes ont-ils toujours su voir s'il faisait jour ou nuit, si le soleil était haut ou bas sur l'horizon.
Mais il était déjà plus difficile de savoir si la nuit était plus ou moins avancée; aussi apprirent-ils à observer l'apparition des étoiles. Pendant le jour, ils regardèrent avec beaucoup d'attention la marche du soleil dans le ciel, marche qui n'est pas la même selon les mois : d'après l'ombre que les objets projettent sur le sol ou contre un mur, on peut calculer l'heure.
A Rome, au moment où le soleil est au plus haut point de sa course, un homme annonçait qu'il était midi. Et il y avait des gens qui se plaignaient de ne pouvoir plus manger quand ils sentaient la faim et de s’amaigrir à attendre l'heure réglementaire des repas.
...N'y a-t-il pas des enfants qui pensent comme ces Romains?
En tout cas, les cadrans solaires servirent pendant des siècles à régler les horloges.

II- La mesure du Temps.

Justement, si les hommes n'avaient été ni paresseux, ni gourmands, ni bavards, ils n'auraient pas eu tant besoin d'horloges. Mais sans réveille-matin, ils ne se seraient pas levés quand il le fallait; sans horloges, ils auraient mangé à toute heure; sans "compteur à paroles", ils n'auraient pas laissé parler chacun à son tour dans les discussions.
On se servit d'abord du feu.
A une mèche, ressemblant à celle de notre lampe à essence, on suspendait un poids. On allumait la mèche par l'autre extrémité. Lorsqu'elle était complètement consumée, le poids tombait sur une sonnerie... et drinn... drinn... Il suffisait donc de savoir combien de temps il fallait à la mèche pour brûler, et l'on savait également si l'heure de la prière était venue.
Ou bien on mesurait le temps avec un cierge : ainsi saint Louis se faisait réveiller quand une chandelle avait fini de se consumer. On utilisait aussi les lampes à huile graduées : à mesure que le temps passait, l'huile brûlait et le niveau baissait.
Puis l'eau et le sable vont aider à calculer le temps écoulé.
Justement je viens de dire "écoulé", comme si le temps coulait de la même manière qu'un fleuve ou qu'un torrent. En effet on le mesura avec l'eau et le sable qu'on pouvait lentement faire passer d'un récipient dans un autre.

Il suffit d'abord de mettre de l'eau dans un bassin et de la faire couler goutte à goutte par un tuyau étroit. Un homme surveillait l'opération; quand il n'y avait plus d'eau, il frappait sur un gong : une heure était écoulée.
On perfectionna bientôt ce système, un peu trop rudimentaire, pour n'avoir plus besoin de surveiller l'écoulement de l'eau. Imaginez un récipient qui se remplit lentement, grâce à un robinet bien réglé. Mettez un flotteur de liège dans un récipient. A mesure que l'eau monte, le flotteur monte. Placez sur ce flotteur un personnage avec une baguette. En face de la baguette un tableau fixe avec les heures tracées de bas en haut comme sur l'image ci-contre. Le petit bonhomme montre donc l'heure avec sa baguette. Il faut encore imaginer un déclic qui fait redescendre l'eau et le personnage, quand celui-ci est arrivé au sommet de sa course. Tout cela est très encombrant. Et il fallait éviter que l'eau ne coule parfois trop vite, parfois trop lentement. Cependant, à l'époque de Charlemagne, on ne connaissait pas de meilleur moyen de mesurer l'heure ; et même ce puissant empereur n'aurait jamais vu d'horloge si un autre grand souverain, un Arabe, qui habitait  très loin, en Orient, ne lui avait envoyé un cadeau une superbe horloge : on y admirait douze fenêtres et de chacune de ces ouvertures, à chaque heure un cavalier qui sortait et fermait la fenêtre. Quel émerveillement pour Charlemagne !


Mais avez-vous vu déjà cuire un œuf à la coque avec un sablier ? Regardez ce joli sable fin qui s'écoule d'une ampoule de verre dans une autre par un étroit goulot ! Il lui faut trois minutes pour passer et c'est si joli à voir que vous le retournerez pour que cela recommence ! Supposez maintenant  un bien plus grand sablier : le sable mettra quinze minutes à s'écouler. Il y a trois ou quatre cents ans on se servait d'un objet de ce genre pour mesurer le temps des cérémonies, la longueur des discours des professeurs ou des avocats. Les conducteurs de voitures portaient un sablier à leur ceinture pour compter la durée de leurs courses et en calculer le prix.

III- Les gros cadrans.

 Tandis qu'on se servait encore du sablier pour mesurer le temps, on vit apparaître aux tours des églises de grosses horloges qui donnaient l'heure à toute la ville. C'étaient des horloges à poids. Une corde passée autour d'une poulie, porte un poids à chacune de ses extrémités. Tandis qu'un des poids remonte, l'autre descend : la poulie tourne et actionne des aiguilles qui marquent l'heure sur un cadran. A Strasbourg, un coq chantait en ouvrant les ailes; à Cambrai, un ange sonnait de la trompette, à Anet, un cerf frappait du pied aux heures et des chiens aboyaient aux quarts. Pour attirer l'attention, on imagina de faire sonner l'heure par des automates, sortes de poupées métalliques qui ressemblaient à des hommes ou à des femmes. A Dijon, venus du Nord pendant la guerre de Cent ans, Jacquemart et sa femme Jacquette frappent du marteau sur une cloche, toutes les heures, tandis que leurs enfants se réservent de faire du bruit tous les quarts d'heure. A Cambrai, c'est Martin et Martine, à Nivelles, le fameux Jean de Nivelles... Il fallait déjà beaucoup d'habileté pour faire manœuvrer régulièrement ces gros automates. Mais cela restait très volumineux.


 IV- Les petites horloges d’appartement et les montres.

 Il y a quatre cents ans seulement on a inventé le "ressort" : une lame d'acier très mince qui s'enroule sur elle-même, et, qui, en se déroulant régulièrement, fait marcher tout un mécanisme de roues dentées. Pour vous faire une idée de ces ressorts, regardez les locomotives ou les autos mécaniques que le Père Noël vous a peut-être apportées ! Comme vous avez dû en casser le ressort, vous verrez comment il se fait. Quand le ressort a fini de se dérouler, on se sert d'une clef pour l'enrouler à nouveau ; on le "remonte".
Alors on peut fabriquer de petites horloges, auxquelles on donna la forme que l'on voulut ; elle ressemblèrent à des bonbonnières, à des tabatières et on les posait sur une table.
Puis un grand savant, Huyghens, étudia comment "le pendule" se balance ou oscille, ce qui allait  permettre de régler très exactement de petites "pendules" ou cartels. On plaça ceux-ci sur les cheminées.
Lorsqu'il était vieux, le roi Louis XIV avait une pendule qu'il admirait beaucoup. Aux heures, deux coqs chantaient; deux portes s'ouvraient pour laisser sortir deux personnages armés de boucliers ; deux amours venaient frapper sur ces boucliers. Mais surtout, au milieu de tout cela, le portrait du Roi lui-même apparaissait et une déesse descendait d'un nuage doré pour le couronner !


A ce moment déjà on connaissait les montres : elles étaient rondes et on les appelait les "ognons". Quelques-unes étaient garnies de pierres précieuses, de miniatures. On remontait ces montres avec de minuscules clefs, puis avec un "remontoir". Les premières montres, assez grandes, étaient munies de sonneries, comme des cartels, et donnaient des airs d'opéra. A la même époque, on inventa les verres de montre, d'abord en deux morceaux, puis en un seul et bombé.
Naturellement toutes ces montres coûtaient fort cher, et les pauvres gens devaient aller regarder l'heure aux gros cadrans des cathédrales. Les apprentis étaient contents d'aller regarder Jacquemart manœuvrer son marteau...
Maintenant  chaque famille a au moins un réveil ou une montre. Les petits enfants entendent si souvent parler de "130 à l'heure", de "record horaire", de "semaine de quarante heures", qu'ils apprennent très jeunes à lire sur les pendules, et ils savent bien que ni trains ni autobus, ni métros ne pourraient fonctionner dans un pays où il n'y aurait pas d'horloge et où personne ne saurait lire l’heure.

Madeleine Schnerb


In L’information historique, p.70-72 n°3 février-mars 1940


Cette histoire est plus qu'une histoire pour des petits en général ; elle s'adresse aussi certainement à ses propres petits âgés alors de 8 et 10 ans, certainement fascinés par les mécanismes des montres, des autos mécaniques qu'ils ont peut-être démembrées pour en extraire les ressorts, passionnés par les records horaires des bolides : 130 à l'heure ! Elle parle aussi - bien qu'elle ne puisse alors le deviner - aux petits qui entre 1960 et 1967 ont reçu de leur "mémé" une montre pour leurs sept ans. La mienne avait un très joli bracelet blanc.


Cette chronique parue en février-mars 1940 sonne aussi comme la fin d'une période : la guerre a commencé; Madeleine avec sa famille a retrouvé la terre auvergnate ; elle enseigne alors au Lycée de garçons Blaise-Pascal. Pendant six ans, il n'y aura plus de ces petits textes réjouissants.