samedi 1 juin 2013

Les rapports de Cluny et de l’art français médiéval pour les classes nouvelles (2)

Comment faire comprendre aux cinquièmes nouvelles les rapports de Cluny et de l’art français médiéval (2e partie)

In L’information historique, n°1 janvier-février 1948, pp33-38.



II- L'EXPANSION DE L'ORDRE
De 910 à 1110 environ, pendant deux siècles, de grands abbés règnent à Cluny et sur de nombreux prieurés, Bernon, le fondateur, a déjà sous son obédience Baume, Souvigny et Gigny, ce dernier bientôt perdu. Odon, son successeur est le véritable créateur de la centralisation clunisienne. Puis viennent Maïeul, lettré et diplomate, Odilon, écrivain habile et fécond, magnifique en son hospitalité, Hugues le Grand, l'ami de Grégoire VII qui donne, pendant soixante ans, à l'abbaye de la Grosne un éclat incomparable et pose la première pierre de la grande église abbatiale (fin XI e siècle).
Mais au moment même de l'apogée, les difficultés commencent : conflits avec les souverains, et avec les ordres concurrents (c'est alors que "Pierre le Vénérable" soutient non sans talent, une polémique véhémente contre Bernard de Cîteaux).
Autour de l'abbaye-mère gravitent une multitude d'asiles de repos, de refuges pour les moines. Mais l'examen d'une carte de la dispersion des couvents clunisiens ne nous donne pas la même satisfaction intellectuelle, née de la certitude, que celle que nous avons puisée dans l'étude de la carte des abbayes cisterciennes : où un groupe de l'obédience de Cîteaux vient s'installer, il apporte avec lui un certain canon artistique, tandis que le cluniste, lui, se montre d'esprit plus ouvert aux influences locales, si bien que la présence d'un couvent clunisien n'implique pas forcément une construction à la manière clunisienne et qu'inversement l'influence de Cluny s'est marquée ailleurs que dans les couvents clunisiens. Le problème n'est pas simple.

III- LE PROBLÈME DE L'ART CLUNISIEN

Nous devons cependant essayer d'approcher de la certitude : occasion précieuse de montrer aux enfants, sous une forme concrète, que l'histoire n'est pas toute faite, mais que nous pouvons tous contribuer à la recherche de la vérité.
Les thèses peuvent se résumer assez simplement :
Viollet-le-Duc faisait de l'abbaye de Cluny l'honneur d'avoir créé l'art roman, art exclusivement monacal. Les historiens contemporains ne vont pas aussi loin. Cependant deux éminents critiques, Émile Mâle et après lui Henri Focillon attribuent à l'influence de Cluny beaucoup des caractères de l'art roman, Marc Bloch le leur a reproché. Mais on doit admettre, au moins, avec MM. Aubert et Réau que l'église de Cluny est à l'origine de nombreux thèmes iconographiques romans : s'il n'y a pas un "art clunisien" il y a "une école clunisienne" ; les chapiteaux du chœur de Cluny étant antérieurs aux sculptures d'Autun, Vézelay, Moissac, Poitiers, Saint-Trophime et Saint-Gilles. Malheureusement, les conclusions d'ensemble restent caricaturales par suite de la destruction de l'abbaye-mère.
Dans ces conditions, les remarques qui suivent sont plutôt des déductions : aux élèves et à leurs professeurs d'exercer leur sagacité afin de franchir la limite entre l'hypothèse et la certitude.

A- La répartition sur la carte

Si Cluny n'impose pas son style comme le cas de Cîteaux, par contre on peut dire que partout où l'abbaye a essaimé, les églises romanes foisonnent : semblables aux abeilles porteuses de pollen, les clunistes transportent d'un lieu à un autre des thèmes et des méthodes.
D'ailleurs, la basilique de Cluny elle-même porte l'empreinte d'une synthèse entre le Nord (élévation) et le Midi (goût de la ligne horizontale). Donc rien de plus délicat que de déceler, dans un monument ce qui est proprement clunisien. Sans doute, la résistance de l'abbaye de la Grosne se manifeste surtout par le refus d'adopter le style clunisien : les moines d'Autun et Cluny ? ils dessinent aussitôt pour leur église un plan différent de celui de l'abbaye-mère. Mais n'est-il pas troublant que Vézelay, dans son ordonnance, ressemble à Saint-Martin d'Autun ?

B) Les abbayes

Dans son ensemble précisément, une abbaye clunisienne ressemble à toutes les abbayes bénédictines qui, elles-mêmes, dérivent des couvents syriens et que Cîteaux copiera à son tour : une cour entourée d'un cloître, des bâtiments annexes.
Mais l'église clunisienne, elle, recherche les murs élevés, dresse vers le ciel (orgueil ou acte de foi?) ses tours et ses flèches ; toujours au nord, elle protège l’ensemble du couvent des vents froids ; le chevet est long et arrondi ; le plan en forme de croix archiépiscopale, à double transept de longueur inégale, s'oppose à la netteté simple de l'église cistercienne. Construite pour les pèlerinages, elle se fait accueillante par les larges dimensions de son narthex ou de son porche, et adaptée aux processions liturgiques, elle permet une circulation aisée autour du sanctuaire. A Cluny même... (à suivre)





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