dimanche 17 février 2013

La question d’Orient au Moyen Age dans une cinquième nouvelle

Expériences pédagogiques 

Comment étudier dans une cinquième nouvelle la question d’Orient au Moyen Age

1- Intérêt de cette étude

A) Elle doit exercer l'esprit critique : en effet, si ce problème ne figure pas explicitement au programme, il peut être examiné de manière à montrer à des élèves de cinquième nouvelle que le libellé d'un programme laisse toujours des questions dans l'ombre ; qu'en particulier l'histoire qu'on enseigne en France, est souvent, même si elle se prétend "générale", plus ou moins subordonnée à "l'Histoire de France" traditionnelle ; qu'ainsi la question d’Orient est comprise selon une perspective qui en fausse les données réelles (on peut faire une comparaison avec les cartes géographiques qui diffèrent selon qu'elles sont centrées autour d'un pays ou d'un autre). Les élèves pourront exercer leur curiosité en recherchant dans les chapitres du manuel, consacrés aux Arabes et aux Croisades, ce qu'est devenu l'Empire Byzantin, Empire qui ne bénéficie d'un développement que pour le règne de Justinien (cette dernière limitation dans le temps peut donner des idées erronées, d'autant plus que, tout en laissant supposer que le règne de Justinien est sans lendemain, certains livres de classe font, plus loin, chemin faisant, allusion à un Empire byzantin encore bien vivant six et même huit siècles plus tard).

B) Cette étude peut conduire à d'utiles rapprochements : sans doute ne faut-il pas systématiser une méthode qui risque d'engendrer des anachronismes fâcheux ; cependant, certaines données géographiques permanentes placent, à toutes les époques historiques, et avec des variantes, les gouvernements en face des mêmes problèmes.
Ainsi "l'homme malade" du XIXe siècle (l'Empire Ottoman) se trouvera en face de difficultés analogues à celles qui amenèrent la chute de l'Empire byzantin au XVe siècle (1)

 Quelles sont les données permanentes ?

a) La position-clef des Détroits : carrefour de deux routes maritimes et de deux routes terrestres importantes auxquelles s'ajoutent d'autres lignes secondaires (cf. Bréhier, pp. 4 et 5).
La puissance maîtresse des Détroits est donc obligée d'avoir une force maritime ce qui l'amène à entrer en conflit avec les autres puissances maritimes ou à en rechercher l'appui (Gênes et Venise au Moyen âge; l'Angleterre au XIXe siècle).

b) Le cadre géographique : Les frontières de la puissance qui tient les Détroits sont étendues et assez difficiles à défendre :
- en bordure du Danube, il convient de résister aux poussées des peuples du Nord (Germains, Slaves) ;
- aux confins de l'Adriatique, la possession de la côte dalmate peut entraîner des conflits avec Venise et l'Italie ;
- au Nord-Est, le contact avec la masse eurasiatique oblige à une résistance permanente contre les Russes surtout, qui marchent en direction du Bosphore (exemple : le prince Igor, devant Constantinople au Xe siècle, est un précurseur);
- au Sud-Est, en Asie Mineure, l’Empire des Détroits est en rapport avec des peuples nomades d'Asie, qui sont en marche, les uns après les autres et qui, à mesure qu'ils se fixent, sont menacés à leur tour par d'autres peuples en mouvement (Arabes, Turcs, Mongols).

Dans ces conditions, la puissance qui domine les Détroits doit posséder une force terrestre considérable pour maintenir ses frontières intactes.

c) La multiplicité des fronts, facteur de faiblesse, ne peut être compensée que par une diplomatie active : c'est l'occasion de comprendre, au moins en gros, les lignes directrices de la diplomatie médiévale. Dans ce domaine, il peut être intéressant
1- d'insister sur la personnalité de certains Empereurs de valeur qui jouent à Byzance un rôle décisif (on pourra, si possible, faire des rapprochements avec des Sultans des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Tous ceux qui savent éviter de se battre sur plusieurs fronts, qui savent tirer parti des divisions de leurs adversaires, qui réussirent, grâce à leurs alliances, à prendre leurs voisins à revers, qui peuvent pratiquer une politique de bascule, et tomber dans la duplicité, qui monnaient adroitement les reculs nécessaires, ceux-là retardent l'échéance fatale. Dans les indications que nous donnons plus loin, on trouvera les noms des Empereurs les plus remarquables, et grâce à l'index qui figure à la fin du volume de M. Bréhier, on pourra retracer les portraits et l'action des plus caractéristiques.

2- De reprendre, du point de vue de la question d'Orient, l'étude de la politique des papes, qui préfèrent d'abord les Carolingiens aux Byzantins, puis se rapprochent de Byzance quand Charles le Chauve est trop faible pour endiguer la poussée lombarde qui se brouillent ensuite avec le Basileus, au moment du schisme de 1054, qui travaillent à prêcher une croisade commune contre les Petchénègues, puis les Turcs, chaque fois que le saint-Siège peut espérer une union des églises.

3. De suivre l'histoire instructive à tant d'égards d'une thalassocratie comme Venise.

d) Les ressources de l'Empire doivent être suffisantes pour permettre d'entretenir une flotte et une armée puissantes : c'est ici le moment d'étudier la géographie du pays. Si les richesses naturelles ne sont pas assez abondantes, il faut y suppléer par le commerce ; on en revient à la question fondamentale déjà posée : quel est le maître de la mer ? En plus, l'Empire a besoin d'un ravitaillement suffisant : de là l'importance de la question égyptienne, depuis l'époque romaine jusqu'au XIXe siècle : qui veut l'hégémonie en Méditerranée doit dominer l’Égypte, la terre à blé.

II-  Méthode

Deux équipes organisées pour le travail peuvent se partager ainsi des tâches très variées :

A) Confection de cartes de la Méditerranée jusqu'aux confins du Danube pour déterminer le cadre géographique, les routes, les frontières ou marches. Ces cartes peuvent s'inspirer des manuels en usage qui tous plus ou moins contiennent des croquis du monde méditerranéen au temps de Justinien, à l’époque des Croisades et vers 1453. Le livre de M. Bréhier fournit d'utiles compléments (voir les dépliants à la fin du volume).

 

B) Confection de tableaux synchroniques grâce aux chapitres des manuels consacrés aux Barbares et au partage de l'Empire Romain, à Justinien, aux Vénitiens, aux Croisades et même à l'Empire Germanique et à la Papauté.
Bien entendu, il ne s'agit nullement de faire apprendre aux enfants tous les faits contenus  dans ces tableaux (faits dont nous donnerons l'essentiel en cours mais on voudrait leur faire comprendre l'interdépendance des événements, car chaque mouvement de contraction de l'Empire Byzantin correspond à une poussée de ses voisins, chaque succès de l'Empire d'Occident (Couronnement de Charlemagne, d'Otton le Grand) marque un recul pour l'Empire d'Orient : au contraire celui-ci profite des faiblesses et des dissensions de ses adversaires pour occuper un cadre géographique et même pour le déborder. Si possible pratiquement, ces tableaux permettent une révision de toute l'histoire du Moyen âge, du point de vue diplomatique et militaire. Ce peut être une occasion de souligner l'interpénétration des événements contemporains, à l'échelle mondiale, le monde du Moyen âge limité à la Méditerranée, étant aussi vaste que le monde actuel qui va jusqu'à l'Extrême Orient et aux pôles, si l'on tient compte du raccourcissement des distances avec le progrès de la vitesse.

C) Exposés consistant en :

1- Portraits d'Empereurs : analyse des grandes lignes de leur politique, de leurs difficultés, de leurs succès, de leurs revers. Malheureusement, les manuels ne fournissent de renseignements que sur Justinien et Theodora ; les autres souverains d'Orient ne sont que cités : or, il faut, à tout prix, que les noms historiques correspondent à quelque chose de vivant ; énumérer des noms, ce n'est qu'érudition ; au contraire, rendre familiers des personnages, c'est prendre contact avec la vie ; à cet égard, il sera précieux, en se reportant à la table analytique du livre de M. Bréhier, d'évoquer les images si vivantes de Constantin Porphyrogénète, d'Irène, de Michel VIII Paléologue, d'Alexis Comnène.

2- Études schématiques de la diplomatie de quelques puissances : celle de la papauté, de Gênes, de Venise, des Carolingiens et des Rois de France dans leurs rapports avec l'Orient.

3- Examen de l'avance ou du recul de certains peuples : les Goths, les Huns - particulièrement puissants, les Vandales, les Avars, les Gépides, les Lombards, les Maures, les Perses sassanides, les Arabes surtout, les Slaves, les Bulgares ; puis les Magyars, les Petchénègues, les Turcs Seldjoukides, les Normands et tous les pirates méditerranéens, les Mongols, enfin les Ottomans ; ce genre d'étude s'appuiera sur des cartes ethniques. Ici, comme pour les portraits, il vaut mieux choisir et faire vivant que de constituer des énumérations complètes. Les indications que nous donnons ne sont nullement destinées à devenir matière à apprendre, mais ont simplement pour but de donner un cadre au professeur.

4- Récits tirés d'épisodes pittoresques : Héraclius et sa marche héroïque contre la Perse ; Constantinople sauvée par le feu grégeois ; la flotte du Prince Igor ; les bandes catalanes, etc.

(à suivre)




(1) : On se reportera au livre magistral de M. Louis Bréhier, Vie et mort de Byzance (Paris, Albin Michel, Bibliothèque de Synthèse historique, 1947.)
Madeleine Schnerb


pp. 160-162 In L’information historique, n°4 juillet-octobre 1947.



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