lundi 22 février 2016

L'Or - 3e partie - La monnaie médiévale

In L’information historique, n°4 juillet-octobre 1949, pages 132-139.


B- La monnaie médiévale.

1° Le Moyen âge conserve le système romain : malgré la secousse terrible des invasions, l'économie prolonge celle de l'Antiquité et l'aureus solidus reste l'unité monétaire.

2° Mais avec l'époque carolingienne se produit un schisme : on a bien montré (voir les ouvrages de F. Lot dans la collection de Synthèse historique) que l'Occident doit vivre en économie fermée, la fortune foncière étant la base de la vie sociale. Précisément ce nouvel état de choses correspond à la disparition de la monnaie d'or ; les invasions n'ont fait qu'exagérer la saignée de métal jaune que l'Occident n'a cessé de subir au profit de l'Orient ; les marchands orientaux continuent de vendre aux propriétaires occidentaux des tissus et des épices payables en or. Ainsi les sous quittent l'Occident qui doit se résigner à se contenter de monnaies blanches et à vivre d'une existence économiquement sommaire. Il ne faut pas en conclure à la disparition totale de l'or : non seulement les trésors des églises en conservent, mais, pour payer leurs meilleurs serviteurs, les pillards varègues disposent de colliers d'or massif. Pourtant la frappe de l'or a vécu.

3° Pendant ce temps, l'Empire byzantin concentre presque tout l'or du monde européen : entre les vieilles réserves impériales, il encaisse les bénéfices d'une balance commerciale favorable et reçoit régulièrement le produit des mines de Nubie et des Monts Oural. Il est vrai que, même à l'époque brillante de la civilisation byzantine, l'or est plus abondant sur les places d'Antioche et d'Alexandrie que dans la capitale. Par ailleurs, à la veille de l'invasion arabe, les exportations sont en décadence, alors que l'Empire continue à être un gros acheteur en Asie Centrale et autour de l'Océan Indien. A mesure que les importations dépassent les exportations, des Byzantins prévoyants se font thésauriseurs et transforment leurs lingots en trésors d'églises et de monastères, tandis que la quantité de métal  précieux qui s'en va en Perse sassanide ou en Mésopotamie s'y enfouit, puisque les Persans ne se servent que de monnaies d'argent. En somme une véritable marée métallique, sans reflux, déferle d'ouest en est, vers les Etats "mangeurs d'or", à travers les pays éponges" (Egypte, Syrie).

4° L'invasion arabe, en passant d'abord par les pays "mangeurs" ou les pays "éponges" change toute la situation : elle remet dans le circuit des trésors millénaires enfouis dans des souterrains ; les envahisseurs affectent bien de respecter les monastères, mais ils exigent de tels tributs que les membres du clergé doivent aliéner une grande partie de leur fortune ; les pillards n'hésitent d'ailleurs pas à violer les sépultures des pharaons (le "Sésame, ouvre-toi des contes arabes n'est pas une simple légende). Les mines de Nubie, l'Or du Soudan sont conquis aussi. Les caravanes qui traversent toujours le désert viennent maintenant enrichir les dynasties arabes du Maghreb, qui vont bientôt se disputer les routes terrestres de l'or.
A partir du IX e siècle, le monnayage de ce métal est général dans toute le monde musulman, de l'Iran à l'Espagne : mangons et dinars supplantent les besants de Byzance.

5° L'or musulman joue du IXe au XIe siècle un rôle primordial : sans doute une grande part en est drainée vers l'Asie centrale et l'Asie des Moussons, mais l'Orient continue à vider Byzance de sa substance. La crise iconoclaste, en jetant à la fonte les trésors des monastères, n'assure qu'un répit à l'Empire dont la ruine est progressive. D'autre part, et c'est la grande nouveauté de cette période, le monde barbare reprend sa place dans le circuit des affaires : les places de Venise et de Kiev en sont les emporia. La Francie cède, contre espèces sonnantes, contre beaux besants, dinars et mangons, ses armes, son étain de Cornouailles, son bois pour constructions navales ; de Moscovie viennent les fourrures et les belles esclaves blondes, exposées au marché de Kiev pour aller peupler les harems arabes. La suprématie du monde musulman ne contrarie donc pas la "renaissance carolingienne" et le "second âge d'or byzantin". L'Occident n'ignore pas l'usage de la monnaie jaune, mais il ne frappe qu'en argent (sans doute la synonymie des termes "argent" et "monnaie" date de là) ; ou bien il fabrique des contrefaçons de mangons sans reculer devant l'horreur du blasphème, puisqu'il grave des versets du Coran sur ces falsifications : curieux hommage au crédit dont jouissent les marchands arabes.

dimanche 21 février 2016

L'Or - 2e partie - L'or dans l'Antiquité

In L’information historique, n°4 juillet-octobre 1949, pages 132-139.

II- L'OR ET LA MONNAIE

Marc Bloch a pu affirmer que, si l'histoire de l'or était bien connue, une grande partie de l'histoire économique sortirait de la confusion (Annales d'Histoire économique et sociale. 1933, n°1). En tout cas, l'or est à la fois un signe et une cause des mouvements profonds de l'économie : même sous forme de bijoux il garde une valeur telle qu'on peut être tenté de le thésauriser et, par ailleurs, comme toute autre matière, le prix en varie avec la rareté et avec la demande. Les vicissitudes en sont donc liées à celles de l'industrie et du commerce.

A- L'or dans l'Antiquité.

Les espèces "sonnantes" apparaissent sept siècles avant notre ère pour se substituer au troc mais il est probable que jusqu'au VIe siècle l'usage en est réservé aux grosses transactions. La Grèce classique, d'ailleurs, n'a connu que les pièces d'argent : c'est Philippe de Macédoine qui introduit les pièces d'or, les philippes et son fils, Alexandre, après avoir pillé les trésors orientaux, en rend l'usage fréquent. De même, les Romains de la République n'utilisaient que le métal blanc et c'est Auguste qui, le premier, met en circulation des pièces qui se répandent après lui dans le monde romain.
Dès lors, la pratique du bimétallisme pose le problème de la valeur relative des deux métaux précieux. Cependant, jusqu'à Marc-Aurèle, on thésaurise en argent : l'Etat, voyant grandir ses besoins, a recouru à l'altération des monnaies d'argent ; l'inflation et la hausse des prix qui en résultent font que l'économie-nature (ou le troc) gagne du terrain aux dépens de l'économie-argent ; aussi les thésauriseurs se tournent-ils ensuite vers l'or qui devient, sous Dioclétien le métal monétaire principal.
Constantin crée le solidus (qui deviendra le sol puis le sou), monnaie-étalon qui équivaut à 24 pièces d'argent de Dioclétien : ainsi l'Empire du IVe siècle possède une monnaie d'or remarquablement stable, dont les rapports avec celles de cuivre et d'argent sont exactement déterminés.
Néanmoins, même à cette époque d'apparente stabilité, un fait reste troublant : pourquoi l'Etat lui-même, quand il lève une taxe libellée en onces exige-t-il 7 solidii au lieu de 6 par once, ce qui serait conforme au change officiel, et oblige-t-il ses percepteurs, sitôt les pièces collectées, à les transformer en lingots ? La frappe des monnaies serait-elle limitée alors à la fourniture de pièces destinées aux libéralités impériales ? En tout état de cause, l'or devient de plus en plus cher.
Est-ce à dire qu'ils soit rare ? Si l'on en croit les témoignages de l'époque, il ne le semble pas : que de baudriers, de colliers, de fourreaux en or ! Les riches portent dans les cérémonies brocards en or et nombreux bijoux. L'Empereur possède d'imposantes collections provenant de razzias lointaines, de confiscations aux dépens des nobles, puis de pillages de temples païens. D'autre part, les mines des bords du Rhin, de Sardaigne, d'Espagne, de Dalmatie, de Thrace fournissent une quantité de métal précieux qui devrait suffire aux besoins.

Il faut donc chercher ailleurs que dans la rareté l'explication de la hausse de la valeur de l'or :
1° La balance commerciale de l'Empire est de plus en plus déficitaire à cause des importations de soie, de perles, de parfums, toutes choses qu'on paie en or pour ne pas exporter le fer indispensable  à la défense militaire.
2° Le gouvernement doit verser aux chefs barbares du Rhin et du Danube d'énormes quantités de métal précieux pour acheter la paix.
Aussi l'Etat se réserve-t-il le monopole de l'exportation de l'or et de l'importation de la soie.
L'apparente abondance du métal précieux ne doit pas faire illusion : seuls les riches qui vivent du "marché noir" en possèdent. les pauvres doivent se contenter de la monnaie inflationniste et ne subsistent que grâce à quelques distributions gratuites. Quand l'Empire songe à revenir à une monnaie saine - le tiers de sous ou tremisssis - tout est remis en question par les Invasions.


L'Or : 1e partie : les usages de l'or

L’Or

In L’information historique, n°4 juillet-octobre 1949, pages 132-139.

Bien que le problème de l'or intéresse l'humanité depuis fort longtemps, le professeur d'histoire, enfermé trop souvent dans les cadres chronologiques, ne lui attribue pas la place qu'il mérite. Sans doute ne manque-t-on pas de décrire les sarcophages en or de Tout-Ank-Amon, d'admirer les masques de Mycènes, de faire une grande part dans le chapitre des Grandes Découvertes à la recherche de l'Eldorado, et encore de signaler les rapports entre le papier-monnaie et l'or, à propos des expériences de Law et de l'assignat... En raison de cette discontinuité même, il nous parait indispensable de reprendre la question dans son ensemble, d'autant plus que depuis quelques années, de nombreux livres et articles, à la fois érudits et passionnants, nous apportent des données nouvelles.

I- LES USAGES DE L'OR

A- Prestige de l'or.

On peut tout d'abord reconstituer toute une mythologie de l'or  les pommes des Hespérides, l’aventure du roi Midas, l'expédition des Argonautes à la recherche de la fabuleuse Toison, le roi Crésus et sa légende, l'Or du Rhin jalousement gardé par les Filles du fleuve, sœurs des Dieux du Walhalla ; puis on peut dresser une sorte d'inventaire des expressions populaires qui attribuent au métal précieux une valeur morale : un cœur d'or, il vaut son pesant d'or, le silence est d'or, etc. Il serait facile alors d'expliquer ces vertus symboliques par les qualités intrinsèques de ce métal : brillant, inaltérabilité, malléabilité.

B- Emplois de l'or.

a- En orfèvrerie.
Il remonte à la plus haute antiquité : signalons justement le sarcophage de Tout-Ank-Amon qui pesait 320 kilos, les objets liturgiques du Moyen âge ainsi que les vaisselles princières d'or massif. Depuis les temps modernes on réserve l'or aux petits objets : tabatières, bonbonnières, chaînes et boîtiers de montres, montures de lunettes : signe de pénurie ou indice de la prédominance de l'or-monnaie.

b- Dans le costume.
Les vêtements tissés d'or sons signalés dès l'époque romaine : les Empereurs de Byzance, puis les grands prélats possèdent des vêtements d'apparat aux passementeries d'or ; c'est au XIXe siècle seulement que l'on renonce à la fabrication des brocards d'or.

c- Dans l'industrie.
L'usage de l'or se limite actuellement à la dorure des volumes reliés, de la vaisselle, de la ferronnerie à la fabrication de plumes de stylographes, à l'aurification dentaire, et on le fait entrer dans la composition de certains remèdes. Mais aussi souvent qu'on le peut, on lui préfère des succédanés moins coûteux.
En réalité, la monnaie et les lingots absorbèrent la plus grosse partie de la production aurifère : l'histoire de l'or se confond donc à peu près avec celle de la monnaie : nous touchons là un problème économique fondamental.

à suivre : L'or et la monnaie