In L’information historique, n°4 juillet-octobre 1949, pages 132-139.
B- La monnaie médiévale.
1° Le Moyen âge conserve le système romain : malgré la secousse terrible des invasions, l'économie prolonge celle de l'Antiquité et l'aureus solidus reste l'unité monétaire.
2° Mais avec l'époque carolingienne se produit un schisme : on a bien montré (voir les ouvrages de F. Lot dans la collection de Synthèse historique) que l'Occident doit vivre en économie fermée, la fortune foncière étant la base de la vie sociale. Précisément ce nouvel état de choses correspond à la disparition de la monnaie d'or ; les invasions n'ont fait qu'exagérer la saignée de métal jaune que l'Occident n'a cessé de subir au profit de l'Orient ; les marchands orientaux continuent de vendre aux propriétaires occidentaux des tissus et des épices payables en or. Ainsi les sous quittent l'Occident qui doit se résigner à se contenter de monnaies blanches et à vivre d'une existence économiquement sommaire. Il ne faut pas en conclure à la disparition totale de l'or : non seulement les trésors des églises en conservent, mais, pour payer leurs meilleurs serviteurs, les pillards varègues disposent de colliers d'or massif. Pourtant la frappe de l'or a vécu.
3° Pendant ce temps, l'Empire byzantin concentre presque tout l'or du monde européen : entre les vieilles réserves impériales, il encaisse les bénéfices d'une balance commerciale favorable et reçoit régulièrement le produit des mines de Nubie et des Monts Oural. Il est vrai que, même à l'époque brillante de la civilisation byzantine, l'or est plus abondant sur les places d'Antioche et d'Alexandrie que dans la capitale. Par ailleurs, à la veille de l'invasion arabe, les exportations sont en décadence, alors que l'Empire continue à être un gros acheteur en Asie Centrale et autour de l'Océan Indien. A mesure que les importations dépassent les exportations, des Byzantins prévoyants se font thésauriseurs et transforment leurs lingots en trésors d'églises et de monastères, tandis que la quantité de métal précieux qui s'en va en Perse sassanide ou en Mésopotamie s'y enfouit, puisque les Persans ne se servent que de monnaies d'argent. En somme une véritable marée métallique, sans reflux, déferle d'ouest en est, vers les Etats "mangeurs d'or", à travers les pays éponges" (Egypte, Syrie).
4° L'invasion arabe, en passant d'abord par les pays "mangeurs" ou les pays "éponges" change toute la situation : elle remet dans le circuit des trésors millénaires enfouis dans des souterrains ; les envahisseurs affectent bien de respecter les monastères, mais ils exigent de tels tributs que les membres du clergé doivent aliéner une grande partie de leur fortune ; les pillards n'hésitent d'ailleurs pas à violer les sépultures des pharaons (le "Sésame, ouvre-toi des contes arabes n'est pas une simple légende). Les mines de Nubie, l'Or du Soudan sont conquis aussi. Les caravanes qui traversent toujours le désert viennent maintenant enrichir les dynasties arabes du Maghreb, qui vont bientôt se disputer les routes terrestres de l'or.
A partir du IX e siècle, le monnayage de ce métal est général dans toute le monde musulman, de l'Iran à l'Espagne : mangons et dinars supplantent les besants de Byzance.
5° L'or musulman joue du IXe au XIe siècle un rôle primordial : sans doute une grande part en est drainée vers l'Asie centrale et l'Asie des Moussons, mais l'Orient continue à vider Byzance de sa substance. La crise iconoclaste, en jetant à la fonte les trésors des monastères, n'assure qu'un répit à l'Empire dont la ruine est progressive. D'autre part, et c'est la grande nouveauté de cette période, le monde barbare reprend sa place dans le circuit des affaires : les places de Venise et de Kiev en sont les emporia. La Francie cède, contre espèces sonnantes, contre beaux besants, dinars et mangons, ses armes, son étain de Cornouailles, son bois pour constructions navales ; de Moscovie viennent les fourrures et les belles esclaves blondes, exposées au marché de Kiev pour aller peupler les harems arabes. La suprématie du monde musulman ne contrarie donc pas la "renaissance carolingienne" et le "second âge d'or byzantin". L'Occident n'ignore pas l'usage de la monnaie jaune, mais il ne frappe qu'en argent (sans doute la synonymie des termes "argent" et "monnaie" date de là) ; ou bien il fabrique des contrefaçons de mangons sans reculer devant l'horreur du blasphème, puisqu'il grave des versets du Coran sur ces falsifications : curieux hommage au crédit dont jouissent les marchands arabes.
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